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LA PORTE DE LA FOI - Première prédication d’Avent 2022

vendredi 2 décembre 2022

Saint Père, Révérend Pères, frères et sœurs de la Curie Romaine, il m’est arrivé plusieurs fois de me demander quel était le sens et l’utilité de ces prédications de l’Avent et du Carême, qui interrompent ou retardent des engagements d’un tout autre type et d’une toute autre importance. Ce qui m’encourage et m’ôte tout scrupule de vous faire perdre votre temps c’est la conviction que l’on ne vient pas écouter ces prédications pour entendre des opinions ou des solutions aux problèmes du moment dans l’Eglise, mais pour puiser des forces dans les vérités de la foi et affronter ainsi tous les problèmes dans un bon esprit. En bref, pour plonger – ou du moins se rafraîchir – dans la foi, l’espérance et la charité.
J’ai donc pensé choisir comme thème de ces trois prédications de l’Avent précisément les trois vertus théologales. La foi, l’espérance et la charité sont l’or, l’encens et la myrrhe que nous, les mages d’aujourd’hui, voulons apporter en cadeau à Dieu qui « vient nous visiter d’en haut ». Tirant parti de la tradition ancienne – patristique et médiévale – des vertus théologales, je tenterai – autant que faire se peut en trois courtes méditations – une approche également moderne et existentielle, c’est-à-dire qui réponde aux défis, aux enrichissements et, parfois, aux substituts proposés par l’homme d’aujourd’hui aux vertus théologales du christianisme.
* * *
Dans la prière chrétienne, le psaume a toujours eu une grande résonance, qui – dans la version de la liturgie – dit :
Portes, levez vos frontons,
élevez-vous, portes éternelles :
qu’il entre, le roi de gloire !
Qui est ce roi de gloire ?
C’est le Seigneur des armées, c’est lui le roi de gloire ! (Ps 23, 7-8)

Dans l’interprétation spirituelle des Pères et de la liturgie, les portes dont parle le psaume sont celles du cœur humain : « Heureux celui à la porte duquel le Christ frappe », commentait saint Ambroise. « Notre porte, c’est la foi… Si tu acceptes d’ouvrir les portes de ta foi, le Roi de gloire entrera chez toi ». Saint Jean Paul II avait fait des paroles du psaume le manifeste de son pontificat. « Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ ! », criait-il au monde le jour de l’inauguration de son ministère.
La grande porte que l’homme peut ouvrir – ou fermer – au Christ est unique et elle s’appelle la liberté. Elle s’ouvre cependant de trois manières différentes, ou selon trois types de décisions différentes que nous pouvons considérer comme autant de portes : la foi, l’espérance et la charité. Ce sont des portes toutes spéciales, elles s’ouvrent à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, avec deux clés, dont l’une est dans la main de l’homme, l’autre dans la main de Dieu. L’homme ne peut pas les ouvrir sans le concours de Dieu, et Dieu ne veut pas les ouvrir sans le concours de l’homme.

Le Christ, origine et accomplissement de la foi

Commençons donc notre réflexion par la première de ces trois portes : la foi. Dieu – lisons-nous dans les Actes des Apôtres – « avait ouvert aux païens la porte de la foi » (Ac 14, 27). Dieu ouvre la porte de la foi, dans la mesure où il donne la possibilité de croire, en envoyant ceux qui prêchent la bonne nouvelle ; l’homme ouvre la porte de la foi en accueillant cette possibilité.
Avec la venue du Christ, on note un saut de qualité en ce qui concerne la foi. Non pas dans sa nature, mais dans son contenu. Il ne s’agit plus d’une foi générique en Dieu, mais de la foi en Christ né, mort et ressuscité pour nous. La Lettre aux Hébreux dresse une longue liste de croyants : « Par la foi Abel…Par la foi Abraham…Par la foi Isaac…Par la foi Jacob…Par la foi Moïse… » Mais il conclut en disant : « Tous ceux-là, bien qu’étant approuvés à cause de leur foi, n’obtinrent pas ce qui leur avait été promis » (He 11, 39). Que manquait-il ? Il manquait Jésus, c’est-à-dire celui qui – dit la même Lettre – « est à l’origine de la foi et la porte à son accomplissement » (He 12, 2).
La foi chrétienne ne consiste donc pas seulement à croire en Dieu ; elle consiste à croire aussi en celui que Dieu a envoyé. Lorsque, avant d’accomplir un miracle, Jésus demande : « Crois-tu ? » et, après l’avoir accompli, il dit : « Ta foi t’a sauvé », il ne se réfère pas à une foi générique en Dieu (qui allait de soi pour tout israélite) ; il se réfère à la foi en lui, dans le pouvoir divin qui lui a été accordé.
C’est là désormais la foi qui justifie l’impie, la foi qui fait naître à une vie nouvelle. Elle se situe au terme d’un processus dont saint Paul, au chapitre 10 de l’épître aux Romains, retrace, presque visuellement, les différentes étapes en les dessinant sur la carte du corps humain. Tout commence, dit-il, par les oreilles, par l’écoute de l’annonce de l’Évangile : « La foi vient de l’ouïe », fides ex auditu. Des oreilles, le mouvement passe au cœur, où se prend la décision fondamentale : corde creditur, « on croit avec le cœur ». Du cœur, le mouvement remonte à la bouche : « on fait profession de foi avec la bouche » : ore fit confessio.
Le processus ne s’arrête pas là, mais – des oreilles, du cœur et de la bouche – il passe aux mains. Oui, car « la foi s’opère dans la charité », dit l’Apôtre (Ga 5, 6). Saint Jacques peut être rassuré. Il y a aussi de la place pour les « œuvres », cependant non pas avant, mais après (logiquement, sinon chronologiquement) la foi. « On ne parvient pas à la foi, dit saint Grégoire le Grand, à partir des vertus, mais aux vertus à partir de la foi ».
Une question très actuelle surgit à ce stade. Si la foi qui sauve est la foi au Christ, que penser de tous ceux qui n’ont aucune possibilité de croire en lui ? Nous vivons dans une société qui est, y compris sur le plan religieux, pluraliste. Nos théologies – orientale et occidentale, catholique et protestante – se sont développées dans un monde où il n’y avait pratiquement que le christianisme. On était, certes, conscient de l’existence d’autres religions, mais elles étaient considérées comme fausses dès le départ, ou bien on ne les prenait pas du tout en compte. En dehors des différentes conceptions de l’Église, tous les chrétiens partageaient l’axiome traditionnel : « Hors de l’Église, point de salut » : Extra Ecclesiam nulla salus.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Depuis quelque temps, un dialogue s’est instauré entre les religions, fondé sur le respect mutuel et la reconnaissance des valeurs présentes dans chacune d’elles. Dans l’Église catholique, le point de départ a été la déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II, mais toutes les Églises chrétiennes historiques partagent une orientation similaire. Cette reconnaissance s’est accompagnée de la conviction que même ceux qui sont en-dehors de l’Église peuvent être sauvés.
Est-il possible, dans cette nouvelle perspective, de maintenir le rôle jusqu’ici attribué à la foi « explicite » en Christ ? Le vieil axiome : « Hors de l’Église, point de salut » ne finirait-il pas par survivre, dans ce cas, dans l’axiome : « Hors de la foi, point de salut » ? Dans certains milieux chrétiens, cette dernière est, en fait, la doctrine dominante et c’est elle qui motive l’engagement missionnaire. De cette façon, cependant, le salut se limite d’emblée à une infime minorité de personnes.
Non seulement cela ne peut pas nous laisser tranquilles, mais cela fait du tort au Christ avant tout en le privant d’une grande partie de son humanité. On ne peut pas croire que Jésus est Dieu, et ensuite en limiter la pertinence de facto à un petit secteur. Jésus est « le sauveur du monde » (Jn 4, 42) ; le Père a envoyé son Fils « pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3, 17) : le monde, pas seulement quelques-uns dans le monde !
Essayons de trouver une réponse dans les Écritures. Elles affirment que celui qui n’a pas connu le Christ, mais qui agit selon sa conscience (Rm 2, 14-15) et fait du bien à son prochain (Mt 25, 3 et s.) est agréable à Dieu. Dans les Actes des Apôtres, nous entendons, de la bouche de Pierre, cette déclaration solennelle : « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes ». (Ac 10, 34-35)
Les adeptes des autres religions croient aussi généralement que Dieu « existe et qu’il récompense ceux qui le cherchent » (He 11, 6) ; ils réalisent donc ce que l’Écriture considère comme le fait fondamental et commun à toute foi. Cela vaut, bien sûr, de manière très particulière, pour nos frères juifs qui croient au même Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob que nous, chrétiens, croyons.
La principale raison de notre optimisme ne repose toutefois pas sur le bien que les adeptes d’autres religions sont capables de faire, mais sur la « grâce de Dieu qui est diverse » (1 P 4, 10). Parfois, je ressens le besoin d’offrir le sacrifice de la messe expressément au nom de tous ceux qui sont sauvés par les mérites du Christ, mais qui ne le savent pas et ne peuvent pas le remercier. La liturgie nous y invite aussi. Dans la Prière eucharistique IV, à la prière pour le pape, l’évêque et les fidèles s’ajoute une prière « pour tous ceux qui te cherchent d’un cœur sincère ».
Dieu a beaucoup plus de moyens de sauver que nous ne pouvons imaginer. Il a établi des « canaux » de sa grâce, mais il ne s’y est pas lié. L’un de ces moyens « extraordinaires » de salut est la souffrance. Après que le Christ l’ait prise sur lui et l’ait rachetée, elle aussi est, à sa manière, un sacrement universel de salut. Celui qui est descendu dans les eaux du Jourdain, les sanctifiant pour chaque baptême, est aussi descendu dans les eaux de la tribulation et de la mort, en en faisant des instruments potentiels de salut. Mystérieusement, toute souffrance – et pas seulement celle des croyants – accomplit en quelque sorte « ce qui manque à la passion du Christ » (Col 1, 24). L’Église célèbre la fête des Saints Innocents, même s’ils ne savaient même pas qu’ils souffraient pour le Christ !
Nous croyons que tous ceux qui sont sauvés le sont par les mérites du Christ : « En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. » (Ac 4, 12). Mais une chose est d’affirmer la nécessité universelle du Christ pour le salut et une autre d’affirmer la nécessité universelle de la foi en Christ pour le salut.
Superflu, donc, de continuer à proclamer l’Évangile à toute créature ? Loin de là ! C’est la raison qui doit changer, pas le fait. Nous devons continuer à annoncer le Christ ; non pas tant pour une raison négative – car sinon le monde sera condamné – mais pour une raison positive, pour le don infini que Jésus représente pour chaque être humain. Le dialogue interreligieux ne s’oppose pas à l’évangélisation, mais en détermine le style. Ce dialogue – écrivait saint Jean-Paul II dans Redemptoris Missio – « fait partie de la mission évangélisatrice de l’Église ».
Le mandat du Christ : « Allez dans le monde entier, prêchez l’Évangile à toute créature » (Mc 16, 15) et « Faites de toutes les nations des disciples » (Mt 28, 19) conserve sa validité pérenne, mais doit être compris dans son contexte historique. Ce sont des mots à rapporter à l’époque où ils ont été écrits, où « le monde entier » et « toutes les nations » était une façon de dire que le message de Jésus n’était pas seulement destiné à Israël, mais aussi au reste du monde. Ils s’appliquent toujours à tous, mais il faut, pour ceux qui appartiennent déjà à une religion, du respect, de la patience et de l’amour. François d’Assise l’avait compris et l’avait mis en pratique. Il envisageait deux façons d’aller vers « les Sarrasins et autres infidèles ». Il écrit dans la Première Règle :
Les frères qui partent ont au point de vue spirituel deux façons de se conduire parmi les infidèles. La première est de ne soulever ni débats ni discussions, mais d’être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu et de se proclamer chrétiens. La seconde est, lorsqu’ils croiront qu’il plaît à Dieu, d’annoncer la parole de Dieu, pour que les infidèles croient au Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint Esprit, Créateur de toutes choses, au Fils Rédempteur et Sauveur .

Le défi de la science

Avec cette ouverture de cœur, revenons maintenant à notre foi chrétienne. Le grand défi qu’elle doit relever à notre époque ne vient pas tant de la philosophie, comme par le passé, que de la science. Il y a quelques mois, une nouvelle sensationnelle est tombée. Le 12 juillet dernier, un télescope lancé dans l’espace le 25 décembre 2021 et placé à un million et demi de kilomètres de la Terre a envoyé des images sans précédent de l’univers qui ont enthousiasmé le monde scientifique.
« Le nouveau télescope – pouvait-on lire sur les nouvelles – a ouvert une nouvelle fenêtre sur le cosmos, capable de nous catapulter dans le temps, juste après le Big Bang initial du monde. C’est la vue la plus détaillée de l’univers primitif jamais obtenue. Il représente le premier avant-goût d’une nouvelle astronomie révolutionnaire qui nous révélera l’univers comme nous ne l’avons jamais vu. »
Nous serions stupides et ingrats si nous ne partagions pas la juste fierté de l’humanité pour cette découverte comme pour toutes les autres découvertes scientifiques. Si la foi – en dehors de l’écoute – naît, comme on l’a dit, de l’étonnement, ces découvertes scientifiques ne devraient pas diminuer la possibilité de croire, mais l’augmenter. S’il vivait aujourd’hui, le psalmiste chanterait avec encore plus d’enthousiasme : « Les cieux proclament la gloire de Dieu, le firmament raconte l’ouvrage de ses mains » (Ps 19, 2) et François d’Assise : « Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures ».
Dieu a voulu nous donner un signe tangible de son infinie grandeur avec l’immensité de l’univers et un signe de son « insaisissabilité » avec la plus petite particule de matière qui, même une fois atteinte – nous assure la physique – conserve son « indétermination ». Le cosmos ne s’est pas fait tout seul. C’est la qualité de l’être, et non la quantité, qui décide ; et la qualité du créé est d’être… créé ! Des milliards de galaxies, séparées par des milliards d’années-lumière, ne changent pas cette qualité d’être.
Nous faisons ces réflexions sur la foi et la science, non pas pour convaincre les scientifiques non croyants (aucun d’entre eux n’est ici pour écouter ou lire ces mots), mais pour nous confirmer dans la foi et ne pas nous laisser troubler par la clameur des voix contraires. C’est dans le même but que saint Luc dit à « l’illustre Théophile » qu’il a écrit son Évangile : « Pour que tu puisses te rendre compte, dit-il, de la solidité des enseignements que tu as reçus » (Lc 1, 4).
Face au déploiement sous nos yeux des dimensions illimitées de l’univers, le plus grand acte de foi pour nous, chrétiens, n’est pas de croire que tout a été créé par Dieu, mais de croire que « tout a été créé par le Christ et pour lui » (Col 1, 16), que « rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui » (Jn 1, 3). Le chrétien dispose d’une preuve sur Dieu bien plus convaincante que celle déduite du cosmos : la personne et la vie de Jésus-Christ.
Les croyants ne sont pas des autruches. Nous ne nous cachons pas la tête dans le sable pour ne pas voir. Nous partageons avec tout homme la perplexité devant les nombreux mystères et contradictions de l’univers : de l’évolution naturelle, de l’histoire, de la Bible elle-même… Nous sommes cependant en mesure de surmonter la perplexité avec une certitude plus forte que toutes les incertitudes : la crédibilité de la personne du Christ, de sa vie et de sa parole. La certitude pleine et joyeuse ne vient pas avant, mais après avoir cru, sinon, la foi perdrait sa valeur et son mérite.

Le juste vit par la foi

La foi est le seul critère qui peut nous amener à avoir un rapport juste, non seulement avec la science, mais aussi avec l’histoire. En parlant de la foi qui justifie, saint Paul cite le célèbre oracle d’Habacuc : « Le juste vivra par la foi » (Ha 2, 4). Qu’entend Dieu par cette parole prophétique, puisque c’est Dieu lui-même qui la prononce ?
Le message s’ouvre sur une complainte du prophète, pour la défaite de la justice et parce que Dieu semble assister, impassible, du haut des cieux, à la violence et à l’oppression. Dieu répond que tout cela va prendre fin car un nouveau fléau – les Chaldéens – va bientôt arriver qui balayera tout et tous. Le prophète se rebelle contre cette solution. Est-ce là la réponse de Dieu ? Une oppression qui en remplace une autre ?
Mais c’est précisément ici que Dieu attendait le prophète. « Voici que celui qui n’a pas l’esprit droit succombera, tandis que le juste vivra par sa foi » (Ha 2, 2-4). On demande au prophète de faire un saut dans la foi. Dieu ne résout pas l’énigme de l’histoire, mais demande qu’on ait confiance en lui et en sa justice, malgré tout. La solution n’est pas dans le fait que l’épreuve cesse, mais que la foi augmente.
L’histoire est une lutte permanente entre le bien et le mal, d’impies qui triomphent et de justes qui souffrent. Ne cherchons pas la victoire stable du bien sur le mal dans l’histoire elle-même, mais au-delà. Abandonnons toute forme de millénarisme. Néanmoins, Dieu est tellement souverain et maître des événements qu’il fait en sorte que même les impies s’agitent pour ses plans mystérieux. C’est bien vrai, Dieu écrit droit avec des lignes courbes ! Les situations peuvent échapper aux hommes, mais pas à Dieu.
Le message d’Habacuc est singulièrement d’actualité. L’humanité a connu, dans les dernières années du siècle dernier, la libération du pouvoir oppresseur des systèmes totalitaires communistes. Mais nous n’avons même pas eu le temps de pousser un soupir de soulagement que d’autres injustices et violences sont apparues dans le monde. Il y a eu ceux qui, à la fin de la « guerre froide », ont cru naïvement que le triomphe de la démocratie aurait désormais fermé définitivement le cycle des grands bouleversements et que l’histoire aurait poursuivi son cours sans autres grands sursauts. Précisément, sans plus « d’histoire ». Cette thèse a été rapidement démentie par les événements, avec l’apparition de nouvelles dictatures et le déclenchement de nouvelles guerres, à commencer par la « guerre du Golfe » jusqu’à la malheureuse guerre en Ukraine de cette année.
Dans cette situation, la question angoissée du prophète surgit en nous aussi : « Seigneur, jusques à quand ? Toi dont les yeux sont si purs que tu ne peux voir le mal ! Pourquoi toute cette violence, tous ces corps humains affamés et squelettiques, toute cette cruauté dans le monde, sans que tu interviennes ? » La réponse de Dieu reste la même : celui dont le cœur n’est pas enraciné en Dieu succombe au pessimisme et se scandalise, tandis que le juste vivra par la foi, et trouvera la réponse dans sa foi. Il comprendra ce que Jésus voulait dire quand, devant Pilate, il déclara : « Ma royauté ne vient pas de ce monde » (Jn 18, 36).
Mais mettons-nous bien dans la tête et rappelons-le au monde quand c’est nécessaire : Dieu est juste et saint ; il ne permettra pas au mal d’avoir le dernier mot ni aux méchants de s’en sortir. Il y aura un jugement à la fin de l’histoire, « un livre écrit sera ouvert, dans lequel tout est contenu et par lequel le monde sera jugé » : Liber scriptus proferetur – in quo totum continetur – unde mundus judicetur ».
Un premier jugement – imparfait mais sous les yeux de tous, croyants et non-croyants – a déjà lieu maintenant, dans l’histoire. On rappelle avec honneur et bénédiction de génération en génération les bienfaiteurs de l’humanité qui ont œuvré pour le progrès de leur pays et pour la paix dans le monde ; tandis que le nom des tyrans et des malfaiteurs continue à travers les siècles à être accompagné de mépris et de réprobation. Jésus a pour toujours inversé les rôles. « Vainqueur parce que victime », c’est ainsi que St. Augustin définit le Christ : Victor quia victima,. A la lumière de l’éternité – mais aussi de l’histoire – ce ne sont pas les bourreaux qui sont les vrais vainqueurs, mais leurs victimes.
Ce que l’Église peut faire, pour ne pas assister passivement au déroulement de l’histoire, c’est prendre parti contre l’oppression et l’arrogance, en se plaçant toujours, « à temps et à contretemps », du côté des pauvres, des faibles, des victimes, de ceux qui portent le poids de chaque malheur et de chaque guerre.
Ce qu’elle peut faire, c’est aussi supprimer l’un des facteurs qui ont toujours attisé les conflits, à savoir la rivalité entre les religions, les fameuses « guerres de religion ». De l’entente et de la collaboration loyale entre les grandes religions peut naître un élan moral qui imprimera à l’histoire ce nouveau cours que l’on attend en vain des pouvoirs politiques. En ce sens, il faut voir l’utilité d’initiatives telles que celles initiées par saint Jean Paul II et qu’aujourd’hui le Souverain Pontife intensifie pour un dialogue constructif entre les religions.
La foi est l’arme de l’Église. L’Église aussi, comme le juste d’Habacuc, « vit par sa foi ». Rome a cessé depuis longtemps d’être caput mundi, mais doit rester caput fidei, capitale de la foi. Non seulement de l’orthodoxie de la foi, mais aussi de l’intensité et de la radicalité de la croyance. Ce que les fidèles saisissent immédiatement chez un prêtre et un pasteur, c’est s’il « y croit », s’il croit en ce qu’il dit et en ce qu’il célèbre. Aujourd’hui, on fait beaucoup usage de la transmission sans fil (WiFi, dit-on en anglais). La foi aussi se transmet de préférence ainsi, sans fils, sans beaucoup de mots et de raisonnements, mais par un courant de grâce qui s’établit entre deux personnes.
L’acte de foi le plus grand que l’Eglise puisse faire – après avoir prié et fait ce qui est possible pour éviter ou faire cesser les conflits – c’est de s’en remettre à Dieu par un acte de confiance totale et d’abandon paisible, en redisant avec l’Apôtre : « Je sais en qui j’ai mis ma confiance ! » Scio cui credidi (2 Tm 1, 12).
Allons donc à la rencontre du Christ qui vient, avec un acte de foi qui est aussi une promesse de Dieu et donc une prophétie : « Le monde est entre les mains de Dieu et lorsque, abusant de sa liberté, l’homme aura touché le fond, il interviendra pour le sauver ». Oui, il interviendra pour le sauver ! Car c’est pour cela qu’il est venu au monde, il y a deux mille vingt-deux ans.
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Traduction de Cathy Brenti de la Communauté des Béatitudes

1.Ambroise, Commentaire du Psaume 117, XII, 14.
2.Grégoire le Grand, Homélies sur Ezéchiel, II, 7 (PL 76, 1018).
3.Première Règle, Ch. XVI.
4.Séquence Dies irae.